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Témoignage – Rencontre avec un forgeron de la communauté Touareg au quartier Lossougoungou 

Je m'appelle Zeinabou, je suis Experte en Droit auprès du GFoD et je souhaite partager aujourd'hui une petite discussion avec un certain M. Obaz sur les droits de l'homme après une séance de formation sur l'utilisation de la DUDH pour sensibiliser les communautés discriminées en matière de travail et d'ascendance.

Lossougoungou est un quartier de Niamey où j'ai rencontré Monsieur Obaz  le 23 Juillet 2024  lors d'un mariage touareg. À cette occasion, il était en train de servir du thé aux chefs touareg rassemblés pour l'événement. C'est là que j'ai fait sa connaissance et que nous avons commencé à discuter.

II. Discussion avec monsieur Obaz : le forgeron-serveur du thé aux chefs Touaregs

Notons que le métier de forgeron, dans certaines cultures, est souvent associé à une ou un statut social particulier. Par exemple, au Niger et dans d'autres pays d'Afrique, les forgerons peuvent être perçus comme appartenant à une caste inférieure. Cette perception est ancrée dans des traditions qui stigmatise leur métier en raison de croyances historiques ou culturelles.

Zeinabou mène une interview auprès d'une femme « Wahaya » (victime d'esclavage sexuel et domestique) dans la localité de Dogueraoua lors d'une mission d'enquête menée par Timidria, une ONG locale

En tant que forgeron, un artisan est souvent limité dans ses interactions sociales et professionnelles. Malgré leur savoir-faire et leur expertise, ils peuvent faire face à des discriminations qui les empêchent de participer pleinement à la vie économique et sociale de leur communauté. Cette stigmatisation peut se traduire par un manque d'opportunités de travail, des préjugés négatifs, et même l'exclusion de certaines activités sociales.

Ainsi, le statut de caste des forgerons, qui devrait être une reconnaissance de leur rôle essentiel dans la société, se transforme souvent en une source de discrimination, les empêchant de bénéficier des mêmes droits et privilèges que d'autres groupes. Cette situation souligne l'importance de la sensibilisation et de l'éducation pour combattre les préjugés et promouvoir l'égalité.

Nous avons commencé par les présentations, puis j'ai demandé s'il faisait ce travail quotidiennement. Il m'a répondu affirmativement et avec conviction, en précisant qu'il était dans ce service depuis plus de 20 ans. Je cherchais alors à savoir s'il le faisait par obligation, car habituellement lors des cérémonies ou des rencontres, cette tâche est souvent confiée aux jeunes garçons de la famille ou du quartier. Cependant, Obaz, âgé d'environ soixante ans, m'a assuré que ce n'était pas le cas. Il m'a expliqué que c'était une responsabilité qu'il assumait depuis sa jeunesse, que son père, son grand-père et son arrière-grand-père avaient tous exercé ce métier. Il a ajouté que c'était tout ce qu'il savait faire et qu'il était né pour cela. Bien que originaire de la région de Tahoua, il avait suivi les élites touareg jusqu'à Niamey, où il accompagnait régulièrement les chefs traditionnels en leur préparant le thé. Je lui ai alors suggéré que c'était une obligation pour lui, mais il a répondu que personne ne le forçait, mais qu'il ne pouvait imaginer laisser quelqu'un d'autre servir le thé à ces chefs touareg lorsqu'il était présent. Il a ajouté que c'était ainsi que les choses devaient se passer et que ce serait à son fils de prendre la relève après lui.

III. Echange sur la connaissance de ses principaux droits

Après qu'il m'ait partagé tout cela, j'ai répondu en lui demandant s'il était conscient qu'il avait le droit de choisir une autre voie, une autre destinée pour sa vie, ainsi que pour celle de son fils et de ses descendants. Je lui ai expliqué qu'aucune personne n'a le droit de monopoliser sa vie. Il m'a regardé et m'a répondu en disant qu'il entendait les gens tenir ce type de propos à Niamey, mais qu'il se sentait bien comme il était. J'ai alors répliqué en lui disant qu'il savait donc que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Il m'a fait remarquer qu'il est au courant de tous ces droits et a ensuite ajouté que les préoccupations sur les droits ne les intéressaient pas du tout, car ils étaient satisfaits de leur situation actuelle, ils vivent bien tant que sa famille a  un endroit où habiter et trouvent de quoi se nourrir ; c'est vraiment ce qui importe pour lui.

L'histoire de Monsieur Obaz illustre un phénomène fréquent dans les sociétés hiérarchisées, où les victimes de discrimination ou d'oppression finissent par accepter et internaliser leur place dans le système. Obaz, malgré la conscience de ses droits, a intégré cette structure sociale en tant que forgeron et serviteur des chefs touaregs, métier hérité de ses ancêtres. Son attachement à cette fonction, qu'il considère comme un devoir naturel, montre comment la répétition des rôles sociaux et l'absence de remise en question perpétuent ces systèmes.

L'acceptation passive de son rôle découle d'une normalisation de l'inégalité dans sa communauté, où les individus comme Obaz préfèrent le confort de la continuité à l'inconnu du changement. Cette réponse face à la hiérarchie sociale est un exemple frappant d'une forme d'auto-oppression, où l'individu, bien qu'au courant des droits qui pourraient lui permettre de s'affranchir, choisit de rester dans le cadre social qui lui a été imposé, par habitude ou tradition. Cette situation met en lumière l'impact profond des structures sociales sur l'identité et la perception de soi, et l'importance des initiatives visant à éveiller les consciences pour rompre ces cycles d'inégalité.

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